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Marc Mounier-Kuhn :
Photographe
"On a tous pris un grand shoot d’humanité en faisant ce projet ."

​Marc est photographe indépendant depuis 25 ans. Son dernier projet s’appelle « Il n’y a pas plus fixe que nous ». Dans celui-ci, on retrouve deux autres formats: une exposition appelée « Non conforme », une série de portraits de personnes à la rue. Et surtout un journal papier : « L’Écho des sans voix », 12 pages, 15 articles sur l’univers de la rue écrit par des étudiants de l’ESJ, des employés de l’Abej, des personnes à la rue et Marc. « L’Écho des sans voix » est consultable à l'Épicerie équitable, au Café citoyen, à l'Écart ou par mail en se rendant sur le site de l’Abej. 

D’où vous est venue l’idée du nom du projet « Il n’y a pas plus fixe que nous » ?

Ça a été la parole d’un sans-abri pendant la première réunion d’écriture. Le mot SDF a été lâché, le gars nous a interrompu et a dit « non, SDF c’est pas possible, on n’est pas sans domicile fixe nous, il y a pas plus fixe que nous, parce qu’au regard des obligations, des contraintes de notre mode de vie subie, on n’est pas libre, au contraire. » Le terme de SDF est banni, pas une seule fois dans le journal, l’acronyme apparaît. 

 

Quel a été le point de départ du projet ?

C’est l’ESJ qui a proposé à l’Abej solidarité (association qui lutte pour que les personnes à la rue, dans la métropole lilloise, sortent de l’exclusion ) de mener un travail photojournalistique. Les étudiants et les personnes à la rue ont écrit, ont réfléchi aux sujets à aborder. Vincent Morival (directeur du pôle Accueil de l’Abej solidarité) dit toujours que ce journal est par et pour les gens de l’abej, pour les gens de la rue. Il y a dans ce projet, la volonté de faire un objet politique pour lutter contre les lieux communs sur l’univers de la rue. Il suffit d’allumer la télé pour entendre que les sans-abri «  ne veulent pas, qu’ils sont alcooliques ». Mais ce n’est pas vrai, OUI ils veulent, NON ils ne sont pas alcooliques, ou en tout cas c’est une infime minorité. Les problématiques auxquelles ils sont confrontés sont graves et puis ça peut arriver à n’importe qui. La plupart ne demandent rien d’autre que d’avoir du taff, un toit. Ils ne sont pas heureux dans cette situation.

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Pourquoi le choix de ne faire que des portraits pour l’exposition « Non conforme » ?

Les directions que je donne pour le portrait m’aident dans ma façon de créer le lien avec les gens que je photographie. J’essaye de retrouver ce rapport sacralisé de l’image. À  l’époque de nos grands-parents et arrière grands-parents, le rapport à l’image était très particulier. La photo était un acte important parce qu’il était rare. Mon grand-père, il existe trois photos de lui : son service militaire, son mariage et une où il est âgé. Les gens ne souriaient pas sur les photos parce qu’il y avait une sorte de conscience qu’on laissait une image de postérité. C’est pareil que pour la peinture, pendant longtemps le sourire était un marqueur de bêtise, c’était les idiots qui souriaient.

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© Marc Mounier-Kuhn

Vos modèles photos sont très sérieux, pourquoi ?

Je leur ai demandé. Je n’autorise pas le sourire artificiel. Un des rôles que je pense être fondamental dans le métier de photographe, c’est d’être l’intermédiaire. J’en suis venu à me dire que si je travaillais sur l’image des gens, c’était pour devenir une sorte d’interface entre la personne photographiée et la personne qui regarderait la photo.

 

Vous avez remarqué un changement de comportements de la part des modèles vis à vis de leur propre image ?

Ils me disent « je suis moche mais la photo est belle » je leur dis « vous êtes juste super beaux ». Une fois un modèle est arrivé pour se faire photographier, il était dans un drôle d’état. Moi, je suis là pour essayer de rendre hommage. J’adore ce moment parce qu’il est tout voûté devant l’appareil et il a ce mouvement de se redresser d’un coup. Sur la photo, bon il a un œil un peu fermé, mais il est plein de dignité.  Je veux dire, ça a été une fraction de seconde dans cette journée pour lui où il était plutôt à la ramasse, mais l’image le présente comme quelqu’un de digne. Ça ne correspond pas à la réalité du moment, mais à la réalité de la personne. 

 

En quoi cette expérience a été utile pour les étudiants en journalisme ?

On a tous pris un grand shoot d’humanité. Une des étudiantes avec qui j’ai travaillé était très émue par ce travail. Pourtant, quand j’avais annoncé à la conférence de rédaction ce que je voulais faire précisément : le format, 12 pages, 15 articles, cette étudiante avait été très flippée. Elle m’avait dit « mais tu te rends pas compte moi c’est le premier article que j’écris de ma vie et là tu es en train de me dire qu’on va en faire 15, qu’il v a y avoir 1000 exemplaires, tu es complètement fou, c’est beaucoup trop ambitieux ». Je lui ai dit « ouais c’est trop ambitieux, c’est pour ça qu’on va le faire et qu’on va bien le faire ». Quand elle a vu la version finale du journal elle avait le sourire jusqu’aux oreilles, elle était fière.

 

Pensez-vous que l’intelligence artificielle peut remettre en question le travail de photographe ?

L’IA est un outil intéressant et je comprends bien la panique. Ça va certainement, c’est déjà le cas, menacer certains pans de la photographie. Pour moi, c’est similaire à l’arrivée du numérique. On pensait que ça allait tuer le métier et ça l’a revivifié. On se rend compte aussi avec l’IA qu’on peut faire dire n’importe quoi aux images. Ça peut être salvateur dans le sens où on revient à un regard critique sur la photo en tant que témoignage. Quand la photo est apparue, c’était une catastrophe pour les peintres. Avec un peu de mécanique, d’optique et de chimie, on a pu rendre la réalité plus réelle que ce que pouvait faire le plus réaliste des peintres. Et en même temps ça a eu des conséquences inattendues, ça a provoqué une révolution dans la peinture. L’apparition de la photo a libéré la peinture pour le meilleur et pour le pire. L’IA va seulement rebattre un peu le jeu.

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Mélina Fischmann

Une : © Mélina Fischmann

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