Hélène Devynck :
"Le corps des femmes n’est pas accessible aux hommes quand ils veulent."
Hélène Devynck est journaliste TV, elle a été auditionnée lors de la mission d’information menée à l’Assemblée nationale sur la définition pénale du viol. Elle suit de très près le déroulement du procès des violeurs de Gisèle Pelicot, elle lui dédiE même une tribune dans Le Monde. Elle fait aussi partie des femmes qui témoignent face à la caméra de Médiapart en 2022 au sujet des faits de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel commis par Patrick Poivre d’Arvor (PPDA).
Vous avez publié une tribune ce 6 septembre en solidarité avec Gisèle Pélicot dans Le Monde. Pourquoi est-ce que la solidarité entre les victimes est-elle importante ?
Je viens de là d’une certaine façon ! Dans l’affaire PPDA au début, il y avait Florence Porcelle qui a porté plainte toute seule. Et la réponse du violeur a été tellement agressive, tellement massive, qu’en solidarité avec elle, on a été des dizaines à appeler les enquêteurs pour raconter.
Je sais très bien que mon témoignage tout seul n’a pas beaucoup de poids parce que je n'ai pas de preuve. Mon témoignage a de la force parce que les autres racontent la même histoire avec le même homme. Le fait d’être ensemble ça nous donne une force incroyable.
Gisèle Pelicot est toute seule. Il y a 50 hommes et elle. Donc bien sûr c’est un réflexe de dire : « Il ne faut pas la laisser seule ». C’était un peu ça le sens de ce que j’ai écrit mais on est des dizaines d’autres féministes à l’avoir fait. Elle a refusé le huis clos en disant « ce qui m’arrive vous regarde, nous regarde ».
Vous soulignez que Gisèle Pélicot a demandé que le procès ne se déroule pas en huis clos. Qu’est-ce que cela change ?
Le viol se produit à huis clos, mais le procès est toujours public, toujours … sauf si la victime le demande. Il y a dans cette affaire des particularités sur lesquelles on peut revenir et qui sont assez choquantes :
Elle demande qu’il n’y ait pas de huis clos. Et que ce qui lui est arrivé soit public. Les violeurs sont embêtés parce qu'ils n'ont pas envie que l’on voie ce qu’ils ont fait, qui sont des preuves du viol. Le président du tribunal leur donne raison. Le huis clos a été mis au moment de la diffusion des preuves de viols, à la demande des prévenus, alors que Gisèle Pellico avait demandé la levée totale du huis clos. Ce que je trouve extrêmement choquant. Comme si le huit clos devait protéger les agresseurs et les accusés plutôt que la victime. Or le huis clos est censé protéger la victime d’abord. Si c'est son choix et si elle y renonce, il faut le respecter.
Quelle importance cela a pour la société ?
Au sujet de l’impact sur la société on peut parler du procès d'Aix-en-Provence mené par Gisèle Halimi en 1978. Elle a fait de ce procès, un procès politique qui a abouti à une définition du viol.
Il y a le même effet dans le procès des viols dit de Mazan. Mais le personnel politique ne s’en saisi pas, ce que je trouve étrange. Le nouveau ministre de la Justice a fait une interview, il n’en a pas parlé et il n'y a pas eu une question. Et pourtant sur le plan de la justice ce procès pose énormément de questions et en partie celle de la redéfinition du viol.
Et par ailleurs, et c'est là que l’on revient à l’origine de votre question, sur la défense des accusés de Mazan : Le consentement de la victime est toujours questionné dans les procès.
En France il y a une école de définition du consentement qui fait qu'il est toujours questionné chez la victime. Et la stratégie de défense des agresseurs va être de prouver en permanence que la victime n’était pas « une bonne victime » (Qu’elle l'a bien cherché).
Pour l’instant, le viol est défini par ce que l’on appelle « la stratégie de l’agresseur ». C’est le comportement de l’agresseur que l’on regarde pour savoir si le viol est constitué ou pas. Ce qui est une absurdité et une très grande violence faite aux victimes.
J’aimerais que l’on revienne sur les auditions des missions d’information sur la définition pénale du viol à l’Assemblée nationale. Qu’est-ce que vous attendiez de cette redéfinition ?
J’ai été auditionné dans le cadre de cette mission transpartisane menée par Véronique Riotton (ex-député En Marche) et Mme Marie-Charlotte Garin (EELV).
Je trouve qu’il y a eu quelque chose de très intelligent sur ces travaux parlementaires. Je pense que j’ai changé d’avis entre le début et son interruption.
C’est un débat d’école de pensée, au sein du féminisme, qui est philosophique. Donc pour savoir de quoi on parle : « un viol, c’est tout acte de pénétration sexuelle ou bucco-génitale commis par surprise, contrainte, menace, ou violence. »
Si on prend l’exemple du mot « contrainte », on peut en avoir une lecture très restrictive. La contrainte : ça peut être une asymétrie de pouvoir. Par exemple PPDA c’était mon patron, il avait un pouvoir de vie ou de mort sur ma carrière. Mais ça peut être aussi un professeur ou un père. On pourrait donc penser que la contrainte hiérarchique et l’asymétrie de relation rentre dans la définition actuelle du viol or ça dépend des jugements. On ne sait jamais. Et souvent c’est non.
© Le Bien Public / Bénédicte ROSCOT
Quels changements espérez-vous au sein de la justice et de la société si on redéfinit le viol dans le code pénal ?
Si on introduit la notion de consentement dans la loi, on devra demander à l’agresseur ce qu’il a fait pour s’assurer du consentement de la victime.
Revenons au procès de Mazan et la stratégie de défense des agresseurs. Dans tous les procès pour viol, il faut prouver la matérialité de la pénétration. Et là dans le cadre de l’affaire de Gisèle Pélicot ont des photos et des vidéos. On ne peut donc pas nier la matérialité des faits. La défense tente de nier l’intentionnalité « il n’y avait pas de signe pour savoir qu’elle n'était pas consentante, alors ce n’est pas du viol car il n’y avait pas intention de violer. »
Dans la loi, aujourd’hui, le consentement est présumé. On imagine que forcément la victime était consentante sauf si elle l'a fait suffisamment savoir, qu’elle s’est débattue et que l’agresseur a compris qu’il commentait un viol. À l’inverse de cette école de définition : les Belges, les Espagnols, les Canadiens ont changé leurs lois en intégrant la notion de consentement. Ce qui a mis fin à la présomption du consentement, et de considérer, par exemple, la sidération comme un fait.
On doit rétablir la réalité du fait que le corps des femmes n’est pas accessible quand ils veulent. Mais là, on se heurte au mur de la culture du viol en France.
Mathilde Noulhianne
Une : © La Grande Librairie