Alice Lafitte :
Programme Empow'her de l'INSEP
"Il n’y a pas de honte à avoir un cycle ."
Empow’her (Exploring menstrual periods of women athletes to escalate ranking) est le programme d’études de l’INSEP sur le cycle menstruel sur les performances des sportives de haut niveau.
Empow’her, annonce d’emblée un objectif : réintégrer les femmes dans les études scientifiques sur la haute performance sportive et utiliser son cycle comme une force dans l’entraînement plutôt que de le subir.
Alice Lafitte, membre de l’équipe de recherche, revient pour MØNEO sur les possibilités d’optimisation des résultats des sportives, en adaptant leurs efforts à leur cycle menstruel.
En quoi consiste Empow’her ?
Empow’her est un programme de recherche créé en 2021,suite de plusieurs témoignages d’athlètes concernant des douleurs de règles qui impactaient leurs performances. Certaines souffraient, par exemple, de crampes abdominales après leur course et ne pouvaient pas performer comme elles le faisaient les autres jours. Plusieurs athlètes ont alors émis l’idée de lancer des recherches sur ce sujet.
Juliana Antero, la cheffe de projet a donc lancé Empow’her avec un financement de l’ANS (Agence nationale du sport).
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Comment a été mis en place le projet ?
On a suivi plus de 130 athlètes de neuf fédérations différentes (cyclisme, football, natation, ski, aviron, escrime, gym, lutte et triathlon) pendant six mois. . Comme le sujet reste encore assez tabou, surtout dans certaines fédérations, ils sont basés sur le volontariat des athlètes.
Pendant ce suivi, l’athlète doit remplir quotidiennement une application regroupant plusieurs facteurs de bien-être et de symptômes et des données d’entrainement qui varient en fonction des sports. Notre équipe de six personnes analyse ces données et nous faisons des retours aux athlètes.​
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​​Au vu de l’aspect intime des données à renseigner êtes-vous tenus à une forme de confidentialité ?
Oui bien sûr, il n’y a que les membres du projet qui ont accès aux données de l’application. Nous travaillons aussi avec des identifiants anonymisés. Les athlètes ne sont pas obligées de parler de leur démarche, ni à leurs coéquipières, ni à leur coach.
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Sur combien de temps s’étale l’étude ?
En 2021, l’objectif était surtout d’aider les athlètes en vue des JO de Paris. Beaucoup de financements étaient accordés aux projets de recherche. Mais, post-JO, plus aucun athlète n’est suivi faute de financement.
Avez-vous des retours d’athlètes qui ont mis en application les résultats de vos recherches ?
Beaucoup de reportages ont été faits sur les cyclistes, comme Marion Borras et Valentine Fortin. Elles disent elles-mêmes qu’elles ressentent les effets d’une adaptation de l’entrainement en fonction des résultats que l’on a trouvés et des conseils qu’on leur a donnés. Elles sentent qu’elles sont plus puissantes quand elles poussent la charge d’entrainement à certains moments du cycle, ce qui permet d’améliorer leurs performances à long terme.
Concrètement, comment se divise le cycle menstruel et quels sont ses impacts sur la pratique sportive ?
Cela reste très personnel, mais le pattern régulier que l’on a soulevé est un cycle divisé en 3 phases. Au début : la phase de menstruations où les hormones sont très basses. Ensuite la phase folliculaire juste avant l’ovulation : il y a une montée d’œstrogènes, des neuro-excitateurs, qui font que la condition physique ou la motivation sont améliorées. Enfin, l’ovulation, pendant laquelle il y a un pic de progestérones, qui entraîne plus de fatigue et de difficulté à récupérer. C’est là que les efforts doivent être plus légers et où il va falloir plus d’étirements et de récupération après l’entraînement.​
© Alice Lafitte
​​En plus de varier en fonction des individus, ces observations varient-elles d’un sport à l’autre ?
Ce qui est vraiment particulier et qui diffère des autres sports, ce sont les sports d’endurance. La plupart des athlètes en endurance qu’on a suivi sont irrégulières, c’est-à-dire, ont des troubles du cycle. Cela peut être un frein pour l’amélioration de la performance et pour l’utilisation du cycle comme un atout et non comme un défaut.
© Alice Lafitte
Pourquoi l’endurance particulièrement ?
Il y a un syndrome qui s’appelle la déficience énergétique. Il s’agit d’une situation où l’apport alimentaire est trop faible par rapport à la dépense énergétique journalière. Beaucoup de personnes qui pratiquent l’endurance sont touchées par ce syndrome ce qui entraine un cycle irrégulier, anovulatoire ou aménorrhée, c’est-à-dire, ne pas avoir eu ses règles pendant plus de 3 mois. Derrière, les problèmes se répercutent sur la santé osseuse, cardiaque, musculaire… Il faut bien comprendre que le cycle menstruel reste un indicateur de bonne santé et qu’il est lié à tout un système.
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Vous disiez que le sujet restait assez tabou dans les fédérations. Pensez-vous que ce genre d’études peut aider à libérer la parole sur le sujet ?
Oui, même si on voit encore beaucoup d’athlètes qui ne veulent pas du tout en parler.
Je pense que plus on parle de ces sujets délicats, plus cela mettra les athlètes à l’aise. Il n’y a pas de honte à avoir un cycle, c’est totalement naturel et normal.
Comment expliquer selon toi, cet ensemble de tabous et de préjugés autour du sport féminin ?
Je pense que tabous et préjugés font partie de l’évolution de la société : avant, les femmes étaient vu comme plus faibles que les hommes, surtout dans le sport. Je pense que la société évolue dans le bon sens sur ce sujet, d’autant plus quand on se dit qu’il y a des pays où c’est pire.
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Quelle est à présent la suite pour Empow’her ?
Nous essayons toujours de trouver des financements pour pouvoir aller plus loin et élargir tous ces sujets aux femmes en général, et pas qu’aux athlètes de haut niveau.
Quand on regarde la science du sport, seulement 9% des études sont réalisées exclusivement sur des femmes, contre plus de 70% exclusivement sur les hommes. Il faudrait rétablir un peu d’égalité.
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Nina Attalli