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Vincent Hugueux :
Grand reporter

"Des pressions politiques, des menaces de mort ou des procès, c’est inévitable"

Vincent Hugeux est aujourd'hui grand reporter indépendant, spécialiste de politique internationale, notamment de l'Afrique et du Proche-Orient. Il a démarré sa carrière journalistique en 1983 au quotidien Le Monde. Après avoir travaillé à La Croix six ans, il a rejoint L'Express en 1990, où il a exercé pendant environ 30 ans. C’est en 2020 qu’il devient journaliste indépendant. En 2005, il fut honoré par le prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage sur l'Ouganda. Notons qu’il était élève à l'Institut d'études politiques de Paris, puis diplômé de l'École supérieure de journalisme de Lille. 

Comment définiriez-vous la spécificité du métier de « grand reporter » ?

Le grand reportage est, au fond, une modalité du journalisme et un état d’esprit : rien à voir avec le nombre de kilomètres parcourus ! On peut faire du reportage au coin de sa rue, avec des contraintes, des écueils et des risques équivalents à ceux qu’on prend sur un conflit armé. À mon sens, tout journaliste devrait être reporter dans l’âme, c’est-à-dire prêt à consacrer son temps, son énergie à la conduite d’une enquête ou d’un récit.

J’ai deux définitions du journaliste, qui valent pour le reportage : la plus simple (et la meilleure), c’est de raconter des histoires vraies. Raconter, c’est bien relater. L’autre, un peu plus sophistiquée, est de rendre accessible au plus grand nombre la complexité du réel : vivre un évènement majeur, une crise, une tragédie ne suffit pas, il faut encore être capable de la rendre compréhensible. 

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Que vous apporte personnellement l’exercice de cette profession ?

Exercer ce métier est un immense privilège. Les rencontres les plus marquantes de ma vie, aucune autre profession au monde ne me les aurait permises. Ce travail m’apporte énormément dans ma propre compréhension du monde, dans mon rapport aux autres, dans ma découverte de l’altérité. Être plongé dans d’autres cultures, langues, civilisations système de valeur, m’a toujours attiré.

 

L’ailleurs est-il indispensable ? 

Oui, la notion d’ailleurs est absolument centrale. Cette projection permanente vers un ailleurs a longtemps été pour moi un moteur absolu. Et puis, j’aime les situations imprévisibles, indéchiffrables, chaotiques où tout dépend de vous et de la chance.

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Avez-vous déjà parfois subi des pressions politiques ou autres visant à entraver votre travail ?

Oui bien sûr ! Des pressions politiques, des menaces de mort ou plus subtiles comme des procès, c’est inévitable quand le journaliste est ce qu’il doit être en permanence, : un empêcheur de voler, de frauder, de tuer. J’ai eu ce luxe-là de ne jamais céder aux pressions, toujours soutenu par l’Express. Je pense que ne jamais subir de pression est très mauvais signe ; cela signifie que vous ne gênez personne, donc que vous êtes professionnellement insignifiant. C’est donc pour moi un repère, un baromètre. Lorsque je cesserai d’être la cible de pressions, je me demanderai : qu’as-tu loupé ? 

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Est-ce que vos sentiments personnels ont une place dans votre travail ? Et, si oui, peuvent-ils être un handicap ? 

Évidemment oui ! La souffrance d’un enfant rwandais, est d’autant plus aigu et perceptible que vous avez vous-même des enfants. Cette identification-là existe. De même, au Congo, pour les violences sexuelles infligées aux femmes, si vous partagez votre vie avec une femme. Je n’ai jamais cru à un journalisme totalement distancié. Tout l’enjeux est de faire en sorte que ces sentiments ne viennent pas parasiter votre démarche professionnelle : ils ne doivent pas être des entraves à la bonne conduite de la mission confiée.

 

La peur étant un sentiment puissant, comment est-il possible de la contrôler ?

Je n’ai jamais vaincu la peur, et c’est heureux ! J’ai appris à la canaliser. Quelqu’un qui dirait que « je ne connais pas la peur » ne trouverait pas grâce à mes yeux. Ce serait insincère et dangereux pour lui-même, comme pour ceux qui l’entourent. L’apprentissage que donne l’expérience c’est d’apprendre à canaliser la peur. Je ne me suis jamais considéré comme extrêmement courageux. En revanche, je sais que je suis capable de supporter des tensions extrêmes, des menaces, c’est le prix à payer. Il faut du temps et de l’expérience pour comprendre comment vous allez réagir en zone de guerre. Méfiez-vous des gens qui vous disent : « je ne connais pas la peur ».

 

Comment est né en vous le désir de devenir grand reporter ?

Je n’ai pas eu d’emblée l’ambition de devenir grand reporter, pour moi l’ambition centrale était de devenir journaliste. Dès mes 14 ans, cela était une évidence, mes parents m’ont fait totalement confiance. Je ne me suis jamais posé la question ensuite de savoir si je ferais ça ou autre chose. Si ce n’est pas une évidence, faite autre chose, car l’engagement de ce métier, si on veut le pratiquer de manière honorable, est total et parfois un peu totalitaire. J’ai vraiment eu le privilège que ce soit une évidence très précoce.

 

Qu’est ce qui explique votre choix d’être grand reporter indépendant ?

J’ai quitté l’Express de mon plein gré en 2020 après un changement de d’actionnaire, et comme je ne voulais à aucun prix terminer en vieux journaliste aigri, j’ai décidé de découvrir les charmes du statut de pigiste sur le tas. Je n’ai eu aucune difficulté, j’ai pu choisir mon type d’activité. Comme je le répète souvent aujourd’hui, un journaliste doit savoir jouer tous les instruments d’un orchestre. Le statut de pigiste tel que je le vis est un privilège extrêmement confortable. 

 

Pourquoi ce choix d’être devenu spécialiste de l’Afrique et du Proche-Orient ?

Parce que ces terrains comblent mon appétit d’ailleurs et que je m’y suis senti bien. Quand j’allais ainsi très loin, mon besoin instinctif de décentrement était d’autant plus impérieux. J’ai fait beaucoup de choses, Mais c’est vrai que mes bouquins portant sur l’Afrique et l’Iran : il n’y a pas de hasard. À y retourner, vous commencez à connaître le pays, les gens, il y a donc une sorte de familiarité… même si aujourd’hui je suis interdit de séjour dans une bonne douzaine de pays africains. 

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Adèle Carpentier 

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