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Myriam Paris :
"Elles réalisaient à leur sortie de la clinique qu’elles avaient été avortées, voire stérilisées."

 Myriam Paris est chargée de recherche en sociologie au CNRS.  Ses recherches portent sur l’État outre-mer et sur les politiques publiques dans le domaine de la santé. Originaire de la Réunion, elle a quitté son île natale pour poursuivre ses études en France hexagonale. Pour MØNEO, elle revient sur une période méconnue à tort et passée sous silence de l’histoire de la Réunion : celui du contrôle de la natalité opéré sur le corps des  femmes réunionnaises à partir des années 1960.

Qu’est-ce que c’est le contrôle de la natalité ? 

Depuis le 19e siècle, de nombreux États européens cherchent à contrôler la taille de leurs populations nationales.  En effet, la question de la taille des populations et de la qualité de la population (c’est-à-dire de leur santé) est une préoccupation des États. L’enjeux étant le contrôle de la reproduction, de la sexualité parce que la population des métropoles coloniales est considérée comme une richesse pour le travail, l’économie mais aussi pour l’expansion coloniale. Dans les années 1960 alors qu’est en vigueur une politique nataliste en France une politique anti-nataliste est mise en œuvre à la Réunion.

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Peut-on identifier le point de départ de cette politique à la Réunion ?

Dès le début des années 1950 le discours de la surpopulation s’impose et affirme la nécessité d'agir pour limiter la croissance de la population réunionnaise considérée comme superflue.  Dans le contexte de la Guerre Froide et des séditions anti-coloniales (comme en Algérie), les populations des pays du Sud, perçues comme « trop nombreuses » et « sous-développées », sont considérées comme un risque de ralliement aux mouvements communistes et anti-coloniaux. Les pouvoirs publics souhaitent « développer » ces populations considérées comme la cause du « sous-développement » ; la limitation des naissances est un ressort majeur des programmes de développement de l’époque. La figure de femme « des Sud » est érigée comme la femme « prolifique du tiers monde », image qui s’applique à la femme réunionnaise.  Dans les années 50, cette politique se manifeste par la décision de ne va pas étendre les allocations familiales ou le congé maternité à la Réunion, en Martinique et en Guadeloupe, car cela inciterait les femmes à faire des enfants. Ces droits pourtant attachés à la citoyenneté française sont refusés aux femmes réunionnaises, ce qui marque déjà un volet antinataliste. 

À partir des années 1960, les institutions se concentrent directement sur le corps des femmes réunionnaises. Cette démarche s’accompagne d’une propagande intensive : des affiches, des émissions de radio sur la nécessité de faire moins d’enfants, jusqu’aux prospectus joints aux livrets de famille lors des mariages dans le but de limiter la natalité et orienter les femmes vers les centres d’orientation familiale (alors que la  « propagande anti-nataliste » est interdite jusqu’en 1974 en France). Cette politique publique d’État, dérogatoire à la loi française, applique différemment les règles en Hexagone et à la Réunion. 

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Quelles étaient ces pratiques ?

D’abord, des milliers d’avortements et de stérilisations forcées ont été réalisés sans consentement dans la clinique du docteur Moreau à Saint-Benoît entre 1967 et 1970. Par exemple, des femmes venaient consulter pour un souci de grossesse, elles subissaient une intervention chirurgicale sous prétexte d’une soi-disant appendicite, et elles réalisaient à leur sortie de la clinique qu’elles avaient été avortées, voire stérilisées. On assiste également à des injections contraceptives, le Depo provera ou la « piqure » était spécifiquement administrée aux femmes jugées « de bas niveau intellectuel » et « sous développée » ; sous prétexte qu’elles seraient incapables de contrôler leur sexualité ou prendre correctement la pilule. Ces femmes ignoraient les opérations pratiquées sur elles, elles le comprenaient plus tard. Les médecins bénéficiaient d’une impunité totale et donc ont pu pratiquer ces interventions massivement.

Ces pratiques étaient à la fois coercitives et racistes : dans la manière dont les femmes sont reçues et dans l’imposition d’un contraceptif. Les médecins ne s’assuraient même pas de leur souhait de recevoir des informations sur la contraception : certaines femmes consultaient uniquement pour des questions de santé sexuelle. Les rapports médicaux montrent que la mission était claire : « contracepter »  le plus de femmes possibles. 

 

D’où vient le Depo Provera et à quoi sert-il ?

Le Depo Provera, est un contraceptif hormonal produit dès 1960 par la firme américaine Upjohn (aujourd’hui rachetée par Pfizer), et a été testé sans consentement sur des femmes au Brésil, à Porto Rico et dans une clinique d’Atlanta pour femmes noires. Les États-Unis ont refusé sa commercialisation, jugeant les tests insuffisants et le produit potentiellement nocif, décision qui a été suivie par la France. Malgré cela, Upjohn l’a vendu à des organismes comme la Fédération Internationale du Planning Familial, qui l’a utilisé pour encourager de manière coercitive la contraception des femmes des pays du Sud. C’est par les canaux de cette organisation que le Depo Provera arrive à La Réunion en 196.9 Ce contraceptif agit comme couverture contraceptive pour une durée de 3 à 6 mois. Malgré son interdiction en France il est néanmoins massivement prescrit à la Réunion à partir de 1969. Entre 1969 et 1977 environ 7000 réunionnaises ont reçu ces injections. Ce contraceptif peut provoquer une prise de poids, une aménorrhée (absence de règles), des réactions hémorragiques aux règles voire la malformation de bébés par la suite.

Interrogés par une cheffe de service de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales, des médecins exerçant en France ont affirmé qu’ils prescrivaient ce contraceptif, mais uniquement à des patientes internées dans des hôpitaux psychiatriques. Cela montre à quel point l’usage médical du Depo-Provera cible des populations dont la reproduction est jugée indésirable. 

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Rassemblement du CRADS (Comité républicain d’action démocratique et sociale) au Jardin de l’État en 1947.

Pouvez-vous expliquer le rôle de Michel Debré dans cette affaire ? 

Michel Debré est l’ancien Premier ministre français durant la guerre d’Algérie et homme d’État gaulliste. L’indépendance algérienne a constitué pour lui un échec personnel. Il s’est donc tourné vers le reste de l’empire français, c’est-à-dire les Outre Mers et a accepté de devenir député en 1963, poste qu’il a conservé jusque 1988. Debré tenait à ce que la Réunion reste dans le giron français, en raison des révoltes anticoloniales qui secouaient l’île car l’État français craignait que ces « vieilles » colonies accèdent à l’indépendance. Il a été un des artisans de la politique de contrôle des naissances, et c’est aussi à son initiative qu’a été mis en place la déportation d’enfants réunionnais dans le département de la Creuse. 

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​Y a-t-il eu des voix contestataires à la Réunion ?

Oui bien sûr. Créé en 1946, le mouvement de l’Union des Femmes de la Réunion (UFR) réunit dès 1947 des milliers de femmes, principalement blanchisseuses, travailleuses agricoles, femmes de ménage et nénènes, majoritairement pauvres. Dans les années 1960-70, elles affirment : « Liberté totale pour les femmes d’être libres de leur destin et de choisir le nombre d’enfants qu’elles désirent. » Les féministes réunionnaises soutiennent la libéralisation de la contraception, mais refusent toute coercition pour limiter les naissances ou culpabiliser les mères. Elles contestent le discours dominant qui rend les femmes responsables de la surpopulation et de la pauvreté. Certaines accompagnent les 30 Réunionnaises ayant porté plainte pour les stérilisations et avortements forcés en 1970 (procès qui a été perdu). Dans les années 1970, elles dénoncent publiquement le caractère expérimental du Depo Provera, alertant sur ses effets dangereux et permettent ainsi aux femmes de contester les autorités médicales. Leur engagement, à la fois féministe et anticolonial, souligne l’impact du colonialisme dans la privation du pouvoir sur le corps des réunionnaises et les liens entre colonialisme, racisme et sexisme

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Pourquoi ces pratiques sont-elles aujourd’hui méconnues ?

Nous héritons de la manière dont l’histoire est écrite : c’est la version des vainqueurs qui s’est imposée, et non celle des vaincues. En France, tant que les mouvements féministes ne reconnaissent pas que la France est un État colonial qui traite les femmes différemment, il est impossible de construire une véritable solidarité. Notre responsabilité de réunionnaise c’est de recueillir les témoignages de nos mères, de nos grand-mères, on doit s’intéresser et réhabiliter leurs expériences. Trop souvent, nous considérons que le féminisme vient uniquement de France, et j’ai moi-même vécu dans l’ignorance de l’existence d’un mouvement fort et massif à la Réunion. Il est essentiel d’apprendre en s’intéressant à l’histoire de nos familles et des femmes. Il existe tout un silence sur les questions de corps et de sexualité à la Réunion, parce que le poids du mépris a emmuré ces femmes dans le silence.

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Diane Thiann-Bo Morel

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