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Ericka Bareigts :
"L’enjeu c’est le mélange, pas l’entre-soi."

Ericka Bareigts est la première femme maire de Saint-Denis, ancienne ministre des Outre-Mer et députée de la Réunion. Pour MØNEO, elle se livre sur son parcours en politique et ses batailles. Mais également, les spécificités, obstacles et prérogatives à diriger une ville ultramarine ainsi que ses fiertés.

La politique était- elle une vocation ?

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Non je n’avais pas prévu de me lancer en politique. Quand j’étais adolescente je voulais être juge pour enfants puis j’ai finalement fait une maîtrise en droit des affaires internationales et lors d’un stage en cabinet d’avocats, j’ai trouvé ça inintéressant au possible (rire) et donc j’ai arrêté. Mais j’ai toujours été très engagée, j’ai toujours été sensible au faits politiques, aux sujets politiques. J’avais d’ailleurs une grand-mère qui était très concernée par la politique, puisque à son époque elle avait compris qu’il fallait être du bon côté du manche pour nourrir ses enfants, car sinon elle n’aurait pas eu de travail.

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© Ericka Bareigts

Vous avez été la première femme à être maire de Saint-Denis, avez-vous rencontré des difficultés ? Cela a-t-il été un dur parcours pour en arriver là ?

 

Je n’ai pas fait de périple pour être maire de Saint-Denis, j’ai fait un périple d’engagement politique. J’ai commencé mon engagement politique il y a presque 40 ans. Adolescente, je participais déjà à beaucoup de manifestations parce que l’injustice m’a toujours beaucoup touché. Puis je me suis engagée au sein du Parti Socialiste et j’ai commencé par être militante, et c’est au fur et à mesure je me suis faite remarquée au niveau local puis national. Depuis 2007 je suis dans ce processus électoral que je n’ai plus jamais laissé. Les choses se sont présentées et j’ai gravi les échelons, même les élections que j’ai perdues sont des étapes qui m’ont apporté de l’expérience et qui ont fait qu’aujourd’hui je suis maire et que j’ai pu être ministre et députée.

 

Je ne tiens pas à dire que ça a été facile en tant que femme. Déjà, on a plus de mal parce qu’il faut qu’on se décide à sauter le pas, car on le fait à un moment de nos vies personnelles où on fonde une famille ; et la représentation sociale classique dans nos pays occidentaux c’est d’être une maman avant d’être une femme engagée politiquement. Et ça ne se dit pas de vouloir faire les deux. La deuxième chose, c’est que j’ai eu une chance, la loi de parité en politique grâce à Lionel Jospin, ce qui nous a permis de nous positionner comme des actrices de la vie politique. Sans cette loi je n’aurais pas été élue avec les fonctions que j’ai eues en 2008.

 

Il a fallu jouer des coudes, ce n’était pas un long fleuve tranquille, car on a été sous une gouvernance exclusivement masculine, et d’ailleurs je suis aujourd’hui première fédérale du parti socialiste de la Réunion, c’est la première fois de l’histoire de ce parti qu’une femme est à sa tête.

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Quelles sont les spécificités à diriger une ville ultramarine y-a-t-il des avantages et/ou des inconvénients ?

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Peut-être que les inconvénients sont les avantages et vice-versa. Le fait d’être à 11 000km du continent européen et donc de Paris, c’est un inconvénient dans l’investissement et les coûts de nos marchés publics. Il y a les coûts de transport qui sont supérieurs à ceux d’une ville Hexagonale ce qui a un impact sur les budgets qui sont indiscutables. Mais l’éloignement nous préserve aussi quelque part d’un impact sociétal et nous différencie -même si le numérique réduit les distances et le temps. Et malgré le fait qu’on soit en France, nous avons des sociétés extrêmement différentes, nous sommes sur une société multiculturelle, créole et réunionnaise, métissée et qui est confrontée à des phénomènes d’une intensité inégale. Par exemple, le taux de familles monoparentales qui devient plus conséquent en Hexagone (25%), à la Réunion c’est 42%, donc on a les mêmes phénomènes mais nous l’intensité est différente, on a des taux de chômage de 17%, en France Hexagonale ces taux se retrouvent dans un quartier, dans une ville. Donc on a tout multiplié par 2 ici.

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© Ericka Bareigts

Vous évoquez souvent le cas de Mayotte, en quoi est-ce que vous vous sentez concernée par leur situation ?

 

D’abord parce qu’avec Mayotte nous somme les deux seuls départements français de l’Océan Indien, poser politiquement les choses comme ça nous sommes les premiers français du bassin Océan Indien et territoires européens, ce qui est énorme. On est aussi entourés d’une grande pauvreté, que ce soit Madagascar, les pays de l’Afrique Australe/de l’Est, des Comores, nous sommes perçus comme les plus riches parmi les plus pauvres.

 

Il y a un enjeu migratoire général dans la zone et ce qui arrive à Mayotte aujourd’hui arrivera à la Réunion demain ; si Mayotte s’effondre la Réunion sera également impactée. Ne serait-ce que par les populations de Mayotte qui quittent leur territoire pour venir à la Réunion, pour espérer mieux vivre. Mais la cohabitation ici est extrêmement difficile et il y a un vrai sujet de vivre ensemble, qui est très violent entre Mayotte, la Réunion et les Comores. L’autre élément essentiel, est qu’il y a un sujet humanitaire à Mayotte qui est important, on est donc sur un territoire qui demandent à des autorités locales de trouver des solutions alors qu’il me semble qu’on est sur une situation d’ordre humanitaire ; où il faudrait des organisations humanitaires qui viennent à Mayotte pour aider la population mahoraise ainsi que la population migratoire qui y est en grand nombre. On a donc un destin lié sur le bassin Océan Indien.

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Vous évoquiez le multiculturalisme à la Réunion, comment en tant que maire vous parvenez à unir ces différentes communautés et à les valoriser ?

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Lorsqu’on m’invite dans des lieux cultuels, j’accepte toutes les invitations et je sais que ça n’est pas pratiqué en France Hexagonale, mais c’est une exception réunionnaise. On le ressent plus comme du partage d’une communauté humaine que d’un partage d’une spiritualité.  L’autre chose, nous ne faisons plus de fêtes correspondant à une communauté religieuse à Saint-Denis, j’ai décidé de ne plus faire les fêtes de l’Aïd, Dipavali. Puis, on a créé la fête de « l’unité dyonisienne » et l’idée est : sur un espace public, d’inviter toutes les communautés (pas religieuses) de peuplement. Elles viennent et apportent un bout de ce qu’elles aiment montrer de leur culture : la danse, la musique, une pratique sportive, à manger… Tout le monde va vers tout le monde et se découvre. Je pense que c’est une façon de dépasser les appartenances et de vivre la différence de l’autre comme une vraie richesse. Cela veut donc dire qu’on a de l’estime pour l’autre et qu’on l’intègre. On joint l’intimité à l’intérêt général.

C’est une approche plutôt ouverte et laïque des choses. L’enjeu c’est le mélange et non pas l’entre-soi, chacun fait attention à ce que l’espace commun appartienne à tout le monde parce que chacun a intérêt à ce que l’autre ne soit pas prédominant dans l’espace public.

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© Ericka Bareigts

La Réunion est un des territoires les plus pauvres de France, comment luttez-vous pour résorber cette pauvreté à Saint-Denis ?

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Ah, c’est un vrai grand sujet. On est sur un territoire où les écarts entre les plus pauvres et les plus riches sont les plus importants de France. Aujourd’hui, si on enlevait les prestations sociales il y aurait 59% des familles sous le seuil de pauvreté. Avec ces prestations on est à 40%. La pauvreté monétaire est une pauvreté qui s’accentue du fait que les loyers sont chers, et les prestations sociales ne suivent pas l’inflation plus le chômage est important. Il y a donc une dynamique qui fait qu’on ne crée jamais assez d’emplois pour les gens. Face à cela, à Saint-Denis on fait beaucoup de choses mais l’ampleur est telle qu’on a l’impression de vider l’océan. On a une grosse politique de gratuité, 85% des enfants mangent gratuitement à la cantine. On a une action préventive, car on se dit que si on agit très tôt sur les enfants en travaillant sur l’estime et la confiance en soi malgré leur environnement très pauvre, peut-être qu’on peut briser les chaînes de cette exclusion et en sauver pour qu’ils construisent un avenir différent de leurs parents. Une des premières causes de grande pauvreté en France est due à la rupture numérique ou l’illettrisme. Donc, tous les jeudis on va dans les quartiers, pour que les gens puissent constituer leur dossier et avoir accès aux droits. La pauvreté telle que nous on l’aborde, elle n’est pas que monétaire. On veut renvoyer à ceux qui n’ont pas les moyens, beaucoup de considération pour ce qu’ils sont, un message d’espoir.

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Quel est l’accomplissement dont vous êtes le plus fière aujourd’hui dans votre carrière ?

 

Lorsque j’ai été députée, je dirais les enfants de la Creuse. D’avoir fait reconnaître la responsabilité morale de l’État, de les avoir fait venir à l’Assemblée nationale, d’avoir fait porter un texte qui a fait rentrer ces enfants, pour ceux qui sont morts de désespoir notamment les parents qui avaient perdus leurs enfants, pour ceux qui sont entrés en hôpital psychiatrique, pour ceux qui sont vivants mais qui ont été violés, j’ai porté ce texte. J’ai fait beaucoup de plateaux télés même à l’étrangers avec leurs représentants et ils étaient tellement fiers d’eux et j’étais fière de les regarder fiers d’eux-mêmes ; d’être réunionnaise, d’avoir des gens si forts. C’est un grand moment historique pour moi, je pense aussi pour beaucoup et pour la Réunion.

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Diane Thiann-Bo Morel 

Une : Crédit Ericka Bareigts

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