Théa Serfaty :
"Réhabiliter le terme industrie."
A 21 ans, Théa Serfaty a fondé son média Politique Médiatique, centré sur les industries. Son objectif : que le terme industrie ne fasse plus peur. Elle revient pour MØNEO sur l’enjeu citoyen que porte son média.
Pourquoi avoir créé une Politique Médiatique ?
Pour deux choses : j'ai commencé dans le domaine de la ruralité par hasard, et ça a été un énorme coup de cœur. De fil en aiguille je me suis renseignée sur l'industrie, il n'y avait pas vraiment de médias, à part les médias spécialisés qui sont soit payants soit très difficiles d'accès.
J'ai gardé cette frustration pour moi et j'ai commencé à en parler avec des proches qui m'ont dit « les industries ça intéresse personne ». Ensuite, je leur ai parlé d'actualité spécifique à l'industrie et ça les intéressait. Finalement, c'est juste le terme « industrie » qui fait peur. J'essaye de le réhabiliter. Avec Politique Médiatique, l’objectif est de faire mieux comprendre les industries à l'échelle française. Je n'ai pas la prétention d'avoir créé une rédaction entière, j'essaie juste de devenir à l'avenir un mix entre BFM business et un Hugo Décrypte pour toucher un public plus ou moins jeune.
Pour vous, l'industrie dans ce sens là n’est alors pas politique ?
C'est le contre-pouvoir de la politique à mon sens. L'économie et l'industrie font partie intégrante des politiques publiques en France. Les industriels qui se font recevoir par Macron, personne n’en parle. Mais c'est un vrai outil démocratique de comprendre son patrimoine. C’est un vrai sujet en France, par exemple avec la réindustrialisation ou la nationalisation des industries.
McDo est une industrie qui a des enjeux, qui fait du lobbying pour autant on ne le voit pas comme ça. J'essaye vraiment de casser cette barrière à l'entrée.
Pourquoi se spécialiser sur cette thématique ?
Je suis tombée passionnée par les industries.
Le déclic, c'est quand j'ai commencé à m’intéresser aux industries du tabac. Elles sont en pleine transition : en 2050, tu n'auras plus aucune cigarette comme on le voit. Il y a douze millions de fumeurs quotidiens en France, mais personne ne le sait. J'ai vu que dans les médias personne n'en avait parlé. Je me suis dit : « il y a un vrai fossé d'information, on ne nous dit pas tout. » Il est vraiment pressant d'en débattre, il est pressant d'informer.
Quel est le modèle économique de Politique Médiatique aujourd'hui ?
On est sur fonds propres, on n’est pas financé par des milliardaires, par des industriels. Le statut associatif est le garant d’une information transpartisane, neutre et à but non lucratif. On est passionné par ça, on vous donne tous les outils pour être passionné à votre tour. C'est mon grand rêve. Il y a un certain dégoût de l'industrie en France. Il y a l'impression que c'est quelqu'un qui vole l'argent des Français, qui est forcément dans tous les coups politiques possibles et imaginables. Donc nous, on savait que si on parlait d'industrie, il fallait que ça soit indépendant et transpartisan. Parce que la majorité du temps, quand on parle d'industrie dans les cercles politiques français, c'est de l'extrême droite ou de la droite, si tu veux vraiment voir l'industrie briller en général ou alors de l'extrême gauche, mais plus dans le sens manifestation, grève, baisse d'effectifs donc plus dans un sens négatif. Donc tous parlent d'industrie mais pas de la même façon. Et on voulait quelque chose qui rassemblait sans être politisé. Tout en apportant un certain argument neutre pour après construire soi-même son propre argumentaire, son débat, et être apte à débattre sur ces sujets.
J’ai la chance d’être étudiante. Je me laisse encore un an et demi, d’ici la fin de mes études, pour regarder tout ce qu'on peut faire au niveau du modèle.
Le débat est l'essence de Politique Médiatique. Vous dites que c'est une volonté de redonner confiance au public à la fois dans les médias et dans l'industrie. Pourquoi avoir choisi de réunir citoyens et spécialistes sur le sujet ?
Je pense que vous avez tout résumé. Les industriels sont très contents de venir parce qu'ils n’arrivent pas à toucher la jeunesse, même si cela reste un risque pour une industrie de venir s’exposer un peu à la »Cash investigation». Mais les professionnels qui viennent ne sont pas « média trainer » pour autant, ils sont vraiment sur le terrain, proches des sujets, et ne vont pas essayer de ressortir les éléments de langage de l'entreprise ce qui redonne confiance. Il y a une vraie liberté au niveau du débat.
Quand je regarde les vidéos, c'est surtout et presque que des hommes. Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes ?
C'est une vraie question. Pour le premier débat il y aurait dû y avoir une femme qui a décliné deux heures avant. Pour le tabac aussi mais elle n'est malheureusement pas venue. Ça m'attriste parce qu'il faudrait les mettre beaucoup plus en avant. Mais je pense qu'il y a un vrai syndrome de l'imposteur. Si à un moment on a envie de faire un format complètement dédié aux femmes dans l'industrie, on le fera. Parce qu'à mon sens il y a un vrai sujet-là aussi.
Et toi justement comme femme qui vient questionner ce milieu là ?
C'est disruptif. En plateau ça fait tiquer parce que je suis jeune, je suis une femme, je m'intéresse aux industries qui est un sujet très masculin et plutôt mystérieux.
On se dit : « comment ça se fait que la jeunesse s'intéresse à ce sujet-là ? » C'est une fausse interrogation parce que ça veut dire qu'il y a eu un vrai souci de communication et d'information sur ces sujets. Une journaliste m'a dit : « vous êtes particulièrement couillue ! »
Avec vos études en communication, voyez-vous une limite entre communiquer et informer sur une industrie ?
Les deux sont liés : quand tu informes, c'est une manière de communiquer. Donc pour moi, il n’y a pas de limite.
Je n'ai jamais vu deux industriels d'accord ou avoir les mêmes arguments. Les industriels ne font pas bloc ensemble. J'essaie d'être une plateforme d'échange par rapport à tout ça donc je n'ai pas à donner mon avis si tu veux pendant les débats ou quoi que ce soit, chacun se faisait son avis en regardant. C’est le plus important.
Rachel Ducept