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Frédéric Maillot :
"Si on a constamment un mode de pensée nord-sud  on n’a donc pas quitté la pensée colonialiste."

Frédéric Maillot est député de la 6ème circonscription de la Réunion et vice-président de la Région Réunion.  Issu de l’éducation populaire, il a consacré sa jeunesse au militantisme et à la revendication de l’identité et de la culture réunionnaise.

Pour MØNEO, il revient sur ses engagements en politique et son rôle de député d’un territoire outre-mer en Hexagone ; quelles sont les difficultés, les obstacles qu’il rencontre et comment il les affronte. Surtout, il nous raconte sa lutte quotidienne pour faire valoir les problématiques des réunionnais sur l’île et à l’Assemblée nationale.

Dès le collège, j’ai été ce qu’on appelle en « échec scolaire » mais j’ai toujours aimé apprendre, comprendre : j’aime le savoir. Pourtant comment l’école nous enseigne ce savoir n’était pas adapté à l’adolescent que j’étais. C’est donc après la troisième, lorsque je n’ai été accepté dans aucun lycée, que j’ai rencontré « l’éducation populaire ». C’est à travers la culture de l’identité réunionnaise, la musique que l’éducation populaire m’a sauvée. A partir de là, j’ai commencé à m’émanciper et il y a d’ailleurs une phrase qui caractérise bien ça : « l’éducation populaire c’est l’art de s’éduquer tout seul avec les autres » et c’est exactement ce qui m’est arrivé.

 

Quand et pourquoi avez-vous débuté la politique ? Était-ce une vocation ?

Le problème est qu’on reconnaît seulement l’Éducation Nationale alors qu’il y a plusieurs formes d’éducation. Il y a l’éducation familiale qui est la première des éducations qu’on reçoit, puis il y a l’Éducation Nationale via l’école puis l’éducation populaire soit via le sport ou la culture et enfin il y a l’éducation de la rue.

Quand on grandit dans un quartier comme le mien il y a aussi cette forme d’éducation qui n’est contrôlée par personne mais qui reste une forme d’éducation. Ma rencontre avec l’éducation populaire me fait aussi rencontrer le monde du militantisme qui lutte pour la reconnaissance de la langue (le créole), de la musique et de l’identité réunionnaise. Je fais donc mes premiers actes politiques, je participe à des manifestations, des mobilisations qui prennent différentes formes.

À partir de 2011 je créé un mouvement qui s’appelle le « R escapé », on fait plusieurs actions sur tous les milieux ou selon nous il y a une injustice pour les réunionnais, c’est-à-dire les lieux de pouvoir : l’administration, le politique, le journalisme et l’économie. Par exemple, on interrompt des conseils d’administration au sein desquels on projette la préférence métropolitaine plutôt que la compétence réunionnaise. Enfin, c’est à partir de 2013/2014 que je fais mes premiers pas en politique électoraliste en créant un parti qui se nomme « Croire et Oser » et qui se compose essentiellement de jeunes de moins de 30 ans.

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© Frédéric Maillot

En 2022, vous avez été élu député avec le parti politique GDR (Gauche Démocrate Républicaine) sous la bannière de la NUPES et siégez à l’Assemblée Nationale.

 

Quelles sont les difficultés et obstacles que vous rencontrez notamment venant d’un territoire outre-mer ?

Tous les obstacles d’une échelle à l’autre restent à peu près les mêmes c’est-à-dire qu’on s’aperçoit toujours que le pouvoir est capté par des gens qui sont éloignés de la réalité populaire. En effet, on voit un décalage entre d’une part l’Hexagone et la Réunion et d’autre part le gouvernement qui décline un programme qui ne reflète par la réalité de ce que vivent les réunionnais et les réunionnaises. On se bat pour l’adaptation. Ici, on est sujet à l’amendement Virapoullé, qui stipule que tout ce qui s’applique à la Métropole doit aussi s’appliquer à la Réunion et qu’on ne peut pas avoir d’adaptation locale contrairement aux autres territoires ultramarins. Il nous rend donc incapables de décider pour nous même.

Comment parvenez-vous à faire valoir les problématiques réunionnaises dans un paysage métropolitain ? Est-ce plus difficile ?

 Oui, on est obligé se battre beaucoup plus. En effet, notre territoire a été départementalisé en 1946 et nous avons atteint l’égalité du SMIC entre la France et les outres mers seulement en 1995. Par exemple, dans le cas de Mayotte cela fait depuis 2011 que ce territoire est devenu français, mais on observe toujours des inégalités frappantes entre l’Hexagone et Mayotte celui-ci n’ayant toujours pas l’eau potable. Il y a toute une batterie d’injustices et d’inégalités donc forcément on réclame plus car on n’est pas sur la même marche d’égalité.

 Les territoires d’Outre-Mer sont gouvernés par ordonnance, les lois sont décidées pour la France Hexagonale puis appliquées par décret aux outres Mers ; c’est de là que j’ai prononcé cette phrase qui a un peu secoué l’Assemblée : « colons un jour, colons toujours ». A travers ces ordonnances on nous soumet au silence législatif et cela nous prouve encore qu’il y a un colon et des colonisés. Il ne faut pas avoir peur d’une certaine forme d’autonomie décisionnelle ; de prendre des décisions qui sont au plus près du territoire. Cela ne veut pas dire s’éloigner de la République, on a juste besoin d’adaptations locales : on doit pouvoir voter la loi par rapport à notre réalité.

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© Frédéric Maillot

Lorsque vous êtes de retour sur l’île, quel est votre rôle en dehors de l’hémicycle de l’Assemblée nationale ?

On fait beaucoup de rencontres. Je laisse d’ailleurs mon bureau ouvert de façon constante pour tout le monde : les associations, les porteurs de projet ou toute personne qui souhaite faire avancer la vision réunionnaise. C’est ce qui me permet d’amener des sujets concrets à l’Assemblée.

Vous semblez très proches des réunionnais et impliqués dans les problématiques quotidiennes, comment parvenez-vous à instaurer une confiance avec eux ?

La confiance c’est quelque chose qui se gagne par gouttes et qui se perd par litres. J’ai d’ailleurs été surpris d’arriver jusqu’au second tour et d’avoir gagné la confiance des réunionnais. Je ne fais pas d’efforts pour rester connecté à la réalité parce que je viens des quartiers populaires de la Réunion, j’y vis toujours maintenant ; j’ai aussi travaillé pendant 11 ans à la fondation Abbé Pierre. Je ne m’invente pas une réalité populaire, j’ai continué à faire les mêmes choses, à fréquenter les mêmes endroits et cela me permet de rester en connexion avec mon peuple, que j’aime profondément.

 

On évoque souvent la méconnaissance des territoires ultramarins, vous en pensez quoi ?

La Réunion n’est pas un dossier à traiter, on est un pays pas au sens étatique mais au sens culturel, on ne partage pas le même bassin océanique. Alors, attendre qu’on soit élu ou devenu Président/Premier ministre pour s’intéresser à la Réunion, ils vont forcément prendre des décisions qui sont transversales aux attentes. Je considère que le passé n’est pas un lieu de résidence mais un lieu de référence, pour bien comprendre l’avenir il faut regarder dans le passé. La France elle-même dès qu’elle est amenée à prendre des décisions ne replonge-t-elle pas dans son passé ? Est-ce qu’elle ne nous ramène pas à la guerre 14-18, à la Seconde Guerre Mondiale ? Mais comme le passé de la France dans les outres mers n’est pas très glorieux, ça les gêne profondément qu’on parle de ça, et qu’on s’appuie là-dessus pour faire entendre une réalité actuelle.

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© Frédéric Maillot

On est un média étudiant lillois, est ce qu’il y aurait des choses que vous voudriez que ces étudiants sachent à propos de la Réunion ?

Oh, il y aurait tellement de choses. Je pense que l’École ne nous enseigne pas la Réunion en profondeur. L’Éducation Nationale est le deuxième bras armé de la politique colonialiste française, elle n’a donc pas grand intérêt à montrer les contours et les profondeurs de notre histoire, parce que connaître la réalité de son histoire c’est être émancipé, et donc voir comment la France peut nous manipuler et avoir un côté paternaliste avec nous.  Nous sommes proches des deux pays (la Chine et l’Inde) qui sont en train de devenir les deux plus grosses puissances mondiales et n’avons que peu de liens avec eux alors que nous partageons des liens culturels très forts. Si on a constamment un mode de pensée nord-sud, on n’a donc pas quitté la pensée colonialiste. Enfin, on est un territoire européen mais qui je le rappelle n’y est pas situé géographiquement. Il faut donc changer de paradigme, tourné davantage vers l’Inde, la Chine voire l’Afrique du Sud. « La France est certainement un territoire fédéral qui s’ignore » et je reprends ici les mots du président de la Polynésie française Moetai Brotherson.

 

Enfin, quels sont vos projets pour la suite ?

J’ai un mandat qui est passionnant, fatiguant mais ô combien peut me rendre fier et j’espère que ça rendra fiers d’autres réunionnais. Je mets un pied devant l’autre. Je ne pense pas qu’un militant puisse parler de carrière. Un politicien peut parler de carrière mais pas un militant, et j’en suis un.

Diane Thiann-Bo Morel 

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