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Emmanuel Le Ber :
"C’est tout un système qu’il faudrait déconstruire."

Emmanuel Le Ber est le co-réalisteur, avec Bertrand Briard, du film documentaire « STRoNG, aussi forts que fragiles », sorti le 10 octobre 2023 sur Prime Video. On y découvre les meilleurs de leur discipline respective, Camille Lacourt en natation, Jérémy Florès en    surf, Perrine Laffont en ski, Valentin Porte en handball et Ysaora Thibus en escrime. Ils se dévoilent avec pudeur et lucidité sur les problèmes de santé mentale auxquels ils ont été confrontés. Un regard humain est porté sur ces sportifs et sportives de très haut niveau plongés dans un milieu impitoyable. Emmanuel Le Ber revient pour MØNEO sur la santé mentale dans le sport, l’occasion de démystifier l’image du sportif invincible.

Quelle a été la démarche de ce film et pourquoi avoir choisi de parler de santé mentale dans le sport ?

Le sujet de la santé mentale ne m’est pas venu tout de suite, mais par l’un des co-auteurs, qui est ancien sportif de haut niveau et qui a fait une dépression. Il avait envie de parler de ce sujet-là pour sensibiliser les gens. Cela m’intéressait aussi car le sport c’est mon dada (il a réalisé le film Les Bleus 2018, au cœur de l’épopée  russe) et cet aspect mental va au-delà du sport. Je me suis dit qu’il fallait profiter de la notoriété des sportifs pour parler d’un sujet de société.

 

Comment expliquer qu’il y ait un si fort tabou dans le sport à propos de la santé mentale ?

La maladie mentale est vue comme un aveu de faiblesse puisqu’on érige en valeurs cardinales la force, la réussite et le fait de ne jamais échouer, au risque de ne pas s’écouter. C’est tout un système qu’il faudrait déconstruire. Le sportif de haut niveau se construit dès les plus jeunes années, mais il reste un être humain donc le jour où cela dysfonctionne, malheureusement il n’y a pas les structures pour l’accompagner.

 

La maladie mentale est un sujet tabou car elle fait peur à tout le monde. On ne maîtrise plus rien. Ces sportifs, qui se connaissent par cœur en tant qu’athlètes, se retrouvent désemparés, touchés au plus profond d’eux  par une maladie qu’ils ont du mal à expliquer. A ce moment-là l’entourage ne comprend pas, et l’entraineur encore moins.

 

Quelle serait la solution pour que cela se débloque ? Y a-t-il un mythe du sportif à déconstruire dans la société ou une responsabilité à prendre de la part des fédérations ?

Il faut reconnaître qu’en France on est en retard sur la préparation et la santé mentale par rapport aux pays anglo-saxons. Cela commence à bouger : il y a l’obligation pour certains sportifs d’aller voir un psy. Mais si on est mal, on a tendance à se refermer. Ce n’est pas spontané de dire « je me sens faible », « je n’y arriverai pas ». L’athlète lui-même, est enfermé dans un système où il a conscience, en libérant sa parole, des choses qui doivent évoluer, mais, il est aussi capable d’appliquer les mêmes biais éculés, à savoir « tu te fais mal, tu vas y arriver, tu es un champion ou une championne ».

 

On peut aussi renverser le logiciel mais c’est  compliqué. Être un sportif de haut niveau c’est faire des sacrifices dans un contexte d’incertitude, c’est s’habituer à un déséquilibre parce qu’on fait tout pour gagner sans jamais être sûr d’y arriver.

Les fédérations n’en font probablement pas assez mais elles ne sont pas seules. Il y a aussi les médias qui veulent voir de belles victoires, de l’adrénaline. Eux, tout comme les entraîneurs ou l’entourage, ne comprennent pas qu’on puisse être faibles. C’est  important de pouvoir en parler, réagir et en faire un débat de société.

Comment avez-vous choisi les sportifs et sportives que vous avez interviewés ?

Pour l’imagerie, avoir de la montagne, de la mer, de l’intérieur  permet de varier les décors. Au niveau des profils, nous voulions avoir à la fois des sports individuels et collectifs, des hommes et des femmes, d’âges différents et des problématiques différentes.

Pour Valentin Porte c’est la création d’un « bunker » pour rattraper  son retard étant enfant, pour Perrine Laffont c’est la précocité.

Camille Lacourt précise qu’il fait deux épisodes dépressifs: un premier quand il perd aux JO de Londres en 2012, et un deuxième lors de sa retraite. Pour Ysaora Thibus c’est une lutte permanente contre ses propres démons. Pour Jérémy Florès, il y a ces mêmes problématiques de nécessité de gagner, de gestion de la pression, de remise en question.

 

Y a-t-il un type de sport plus susceptible de provoquer une  dépression chez le sportif ?

De la même manière qu’il n’y a pas d’étude avérée sur le fait que les sportifs de très haut niveau soient plus sujets à des problèmes de santé mentale, on ne peut pas dire qu’il y ait des sports qui facilitent la dépression. Il y a tout de même des pistes. Par exemple, quand Camille Lacourt nomme les choses et soulève le fait que l’on dit « jouer au tennis ou au football » mais « faire de la natation ». Cela signifie que compter les carreaux et enchaîner les longueurs n’est peut-être pas très épanouissant. Pour l’escrime, Ysaora Thibus affirme que c’est un sport de duel très déstabilisant dans la façon de se construire à cause des montagnes russes émotionnelles. Tu peux passer de champion à n’être plus rien le lendemain. Mentalement, le tennis est aussi un sport très éprouvant. Mais des burn-out et des dépressions il y en a dans tous    les sports.

 

Etes-vous optimiste pour que les choses avancent ?

Je suis optimiste parce que ce film parle d’un sujet sociétal et c’est une première étape utile. Il peut être remontré sans être daté.  Il pose des problématiques de santé mentale qui feront encore écho dans plusieurs années. Les choses évoluent lentement, même si on pourrait espérer qu’elles évoluent plus vite. Cela dépend des moyens financiers, de l’état d’esprit sur lequel on peut justement travailler. Je pense que c’est aux nouvelles générations d’entraîneurs, et de sportifs d’en parler et de permettre une prise en charge plus précoce.

Vers quels projets vous tournez-vous à présent ? D’autres documentaires dans le monde du sport ?

J’ai un documentaire qui sort sur les préjugés, sur Paris Première. Ce documentaire pose la question du vivre ensemble, de    la façon dont on se préjuge les uns et les autres, sans se connaître. Je travaille aussi sur un thème qui n’a rien à voir : la relation entre l’humain et le chien. Pour être honnête, j’aime beaucoup le sport    mais mon éclairage, quand je m’empare d’un sujet sport, est toujours sociétal ou sur l’aspect humain. Donc il ne s’agit pas de   parler du sport pour le sport, mais de voir ce qu’il représente et comment il résonne dans notre société.

 

Ce matin du 9 février, Ysaora Thibus, que vous avez interviewé  pour le documentaire, a été suspendue provisoirement pour résultats anormaux à un test antidopage. Auriez-vous une réaction à apporter ?

Très sincèrement, connaissant la personne et la situation, à savoir à quelques mois des JO, j’ai été énormément surpris. Cependant je   n’ai pas plus d’informations donc je préfère attendre d’en savoir un peu plus.

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Nina ATTALLI

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