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Anne Cazaubon :
"Il est difficile de remercier pour ceux qui n’ont jamais reçu de merci."

Anne Cazaubon, ex-journaliste, se livre aujourd'hui à MONEO afin de présenter Merci À Un Inconnu, projet dont elle est la fondatrice. 

Avec 426 mille abonnés sur Instagram, le compte @merciauninconnu partage régulièrement de courts témoignages mettant en avant « la puissance du geste désintéressé »à travers des lettres anonymes. Chaque auteur remerciant un inconnu ayant égayé sa journée.

​Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et présenter Merci À Un Inconnu ?

Pendant 25 ans, en tant que journaliste, j’étais l’oiseau de mauvaise augure, je réveillais les gens avec de mauvaises nouvelles. J’ai eu envie de mettre en place un journal de solution avec du contenu positif mais mes chefs n’étaient pas intéressés. Cette idée les faisait plutôt rire. J’ai quand même fait naître Merci À Un Inconnu lors de mes derniers moments à l’antenne, juste avant la période Covid-19. Ensuite, dès les premiers jours de confinement j’ai créé un compte Instagram en commençant par publier mes propres histoires, a demandé les leurs à mes proches; ce qui a déclenché un effet boule de neige.

Aujourd’hui, le compte évolue et l’objectif est de sortir d’Instagram afin de toucher les gens dans leurs quotidiens. On parle d’éco-anxiété mais j’aimerais qu’on évoque également l’écologie intérieure en se demandant « quels sont les mots que je sème / messages que je répands ? » Ce travail qui présente de nombreuses histoires de gestes désintéressés peut permettre de développer une société nouvelle.

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Peut-on dire que votre principale motivation a été de faire face à un monde qui prône davantage la violence ? 

Le monde n’est pas que violent. En tant que journaliste j’ai travaillé sur la guerre, le terrorisme, les traumatismes… mais l’enjeu est de mesurer combien celles et ceux ayant un micro devant la bouche, un journal à gérer, ... ont un véritable impact. C’est exactement comme quand je me balade dans la nature : j’évite d’y vider mes poubelles. Alors sur Internet, je peux éviter de partager un contenu qui ne fera jamais avancer la société. Nous pouvons réellement changer les esprits, sans forcément être donneur de leçon, mais en étant source de bonnes nouvelles malgré le fait qu’elles attirent moins le public, sont moins sensationnelles.

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© merciauninconnu

Dans votre vie personnelle, qu’est-ce que ce changement professionnel a déclenché ? 

Au départ, Merci À Un Inconnu avait quelque chose de l’ordre du projet artistique qui me reconstruisait et venait valider quelque chose intérieurement. Mais aujourd’hui, c’est davantage politique (au sens noble du terme). Ce mouvement a changé ma vie en favorisant un sentiment de lumière, qui éclaire les citoyens. Les gens sont capables de dire qu’il y a la guerre aux portes de l’Europe, la pauvreté, etc. C’est une manière de mettre du « et » plutôt que du « ou ». On exploite l’actualité et ses nuances. Merci À Un Inconnu me permet d’imaginer une société dans laquelle des nouvelles positives peuvent également faire la Une des journaux.

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Aujourd’hui, y a-t-il toujours certaines personnes qui vous avouent trouver votre projet utopique ? 

Non, j’ai les chiffres pour moi. Je me suis longtemps crue seule mais maintenant que le compte Instagram gagne en visibilité, je vois que des gens suivent le projet. Je reçois plusieurs messages qui prouvent  que je suis soutenue. Certains me disent « C’est le meilleur compte Instagram ! Sa consommation devrait être remboursée par la Sécurité Sociale. » ; « Au début, je lisais vos histoires et maintenant je vois davantage le positif de ma vie quotidienne, les services que les inconnus me rendent, donc je rends plus facilement service autour de moi ». C’est là que je réalise l’importance du projet, à quel point les réseaux sociaux peuvent être intéressants. 

 

Pourquoi avoir choisi de commencer par vous implanter sur Instagram ? 

Je ne connaissais pas bien les réseaux sociaux, mais j’ai compris qu’il y avait une certaine fulgurance à lancer des comptes Instagram et des hashtags. Le #MerciAUnInconnu permet de quantifier les utilisateurs intéressés tout en valorisant l’ère actuelle de libération de la parole qui est, pour moi, un bombardement sociétal. L’utilisation d’Instagram permet de rééquilibrer le taux de mauvaises et bonnes nouvelles, afin qu’il n’y ai pas qu’une seule pensée propagée.

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© merciauninconnu

Vous avez déjà commencé à vous détacher d’Instagram, car Merci À Un Inconnu  n’est pas que des témoignages publiés sur ce réseau social mais aussi des petits mots déposés « ici ou ailleurs », comment cette idée vous est-elle venue ? 

 Cette pratique a été une manière pour moi de remonter la pente, j’ai eu un effondrement psychique au début de la vingtaine. Après une grosse dépression, j’ai commencé à laisser ces petits mots dans le train, un à l’aller, un au retour. Ça m’a permis de me reconnecter à l’idée que j’avais très envie de vivre malgré les moments très difficiles de la vie. Ça me connectait à d’autres êtres humains qui vivaient également leurs vies et je réalisais qu’on était nombreux à tomber mais surtout à se relever. Je continue de le faire et j’aime considérer que nous sommes tous des messagers pour l’autre. Il y a un côté Amélie Poulain très assumé que je trouve joli. 

 

Considérez-vous que « merci » est un mot salvateur ?

Oui. J’ai vécu une guérison physique, physiologique grâce à ce mot. Quand je faisais de la radio, j’ai eu un énorme abcès buccal qui m’empêchait de parler. Un jour, quelqu’un pour qui je travaillais m’a remerciée et c’était comme-ci toute mon âme avait absorbé ce « merci » . J’ai reçu tellement de gratitude que je me suis mise à pleurer, et en quelques minutes,  cet abcès a disparu. C’était comme un miracle. J’avais 25 témoins qui étaient tout aussi étonnés que moi. 

 

Pour finir, pensez-vous qu’il faut du courage pour commencer à remercier ?

Oui et non, dire « merci » ça s’apprend. Je pense qu’il est difficile de remercier pour ceux qui n’ont jamais reçu de merci. Ce qu’on appelle la blessure de reconnaissance (se dire que personne ne nous a remercié lorsqu’on l’a mérité) peut avoir un énorme impact. Être remercié est très motivant, alors quand on ne le vit pas on peut se dire « pourquoi je dirais merci alors que l’on ne me l’a jamais dit ? ». Il y a une notion de donner-recevoir. 

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Saty Dosso

Une : © GWLADYSLOUISET

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