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Johanna Guiquita

 « Être Waorani aujourd'hui, c'est résister »

Johanna Guiquita est une jeune leader du peuple Waorani, un peuple situé dans le Yasuní, la plus grande réserve de biodiversité d’Equateur. C’est une femme engagée, notamment dans l’organisation NAWE avec des actions de défense de son territoire et de ses droits en tant que peuple indigène en résistance.

Peux-tu me décrire ton mode de vie ?

 

Nous vivons en harmonie avec la forêt. Pour nous, la vie n'est pas seulement une question de survie, mais de coexistence. Nous chassons avec des sarbacanes, comme le mïï (fléchette empoisonnée), nous pêchons, nous cultivons de petites exploitations de yucca, de plantain et de chonta, et nous cueillons des fruits comme le chontaduro. La forêt est notre garde-manger, notre pharmacie et notre maison. Nous n'accumulons pas de richesses matérielles ; notre richesse est notre connaissance des plantes, des animaux et des esprits de la forêt.

 

Quelles sont vos traditions et votre relation avec la nature ?

 

Le matin, les femmes préparent la chucula à base de bananes et de mandarines pendant que les hommes vérifient les pièges ou partent à la chasse. Dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent à écouter les bruits de la forêt : le chant du piyemoiri (oiseau-horloge) marque l'heure et les empreintes du cuchi (pécari) nous guident. Nos festivités tournent autour de la fête de la chonta, où nous célébrons l'abondance. La nature n'est pas une «ressource » mais notre famille. Les arbres ont une âme. C'est pourquoi nous sommes la génération qui maintient le chant, l'artisanat…  Chaque tissage a sa propre histoire, c'est pourquoi nous, les femmes, nous nous consacrons avec amour à notre art, qui est l'artisanat, parce qu'avec lui nous racontons nos histoires de lutte pour Mère Nature.

 

Que représente la forêt amazonienne pour vous ?

 

Pour vous, c'est peut-être simplement « l'oxygène » ou « le bois ». Pour nous, c'est l'Ome (le territoire sacré). C'est ici que vivent les esprits de nos ancêtres, les plantes qui guérissent le cancer et l'équilibre qui soutient le monde. Si la forêt meurt, la mémoire de notre peuple meurt aussi. C'est pourquoi nos grands-parents nous ont transmis toutes les coutumes et la manière avec laquelle il faut continuer à entretenir cette relation avec notre forêt, la forêt est notre mère, c’est grâce à nous qu’elle continue à vivre. Nous atteignons un point de non-retour. Nous n'avons pas peur de mourir parce que nous savons que nous venons de la forêt et que nous reviendrons. Si elle meurt, nos luttes seront vaines, c'est pourquoi nous crions et exigeons que le monde nous écoute.
 

Ton village est-il menacé ? Pour quelles raisons ?

 

Oui. Les compagnies pétrolières forent la terre avec leurs machines, les bûcherons abattent des arbres centenaires, et le gouvernement dit que c'est le « progrès ». Les routes apportent des maladies, polluent les rivières et font fuir les animaux. Même les touristes rompent parfois le silence sacré. On nous traite de «rétrogrades», mais qui détruit l'avenir ?

Nous prenons simplement soin de la forêt, pas seulement pour notre propre bénéfice, tout le monde utilise nos défenses, mais ils nous traitent toujours «d'arriérés » et n'oublions pas qu'ils envahissent également le territoire que nous partageons avec nos frères TAGAERI TAROMENANI. Cela nous amène à avoir de plus en plus de confrontations avec nos frères parce qu'ils pensent que c'est nous qui envahissons et entrons, détruisant leur maison.

 

Quelle est votre vision de la société capitaliste ?

 

Le capitalisme voit la forêt comme un supermarché : le pétrole sous la terre, le bois dans les arbres, le tourisme dans nos cérémonies. Pour nous, c'est un être vivant. Vous voyez le succès avec l'argent ; nous voyons le succès avec la santé de la forêt et les rires des enfants. Le « développement » nous laisse sans eau potable et nous apporte le cancer. Le capitalisme c’est l’individualisme contre la communauté : vous êtes en compétition, nous partageons. Il y a aussi l’accumulation contre l’équilibre : vous exploitez jusqu'à l'épuisement, nous ne prenons que le nécessaire. Mais encore le temps linéaire contre le temps circulaire : pour vous, l'avenir, c'est « grandir » ; pour nous, c'est garder le sacré.

 

Comment les jeunes de ta communauté perçoivent-ils le monde extérieur, les villes, la consommation, etc...?

 

Certains sont attirés par les téléphones portables ou les vêtements de marques, mais ils en voient vite le prix : ils oublient qui nous sommes. D'autres luttent pour défendre la jungle, en apprenant des anciens et en utilisant des drones pour surveiller les envahisseurs. Nous savons que le « progrès » à l'extérieur est souvent synonyme de solitude et de pollution.


 

Êtes-vous consultés lorsque les gouvernements mettent en œuvre des projets qui affectent ton peuple ?

 

Non. Ils signent des contrats pétroliers et nous en informent ensuite. En 2019, nous avons gagné un procès historique pour faire respecter notre territoire, mais le gouvernement cherche de nouvelles astuces. La consultation préalable reste une lettre morte s'il n'y a pas de réelle volonté. Et nous exigeons que nos voix soient entendues et que notre forêt mère soit respectée.


 

Quelles actions ta communauté a-t-elle entreprises pour se défendre ?

 

Des actions juridiques : nous utilisons nos lois pour arrêter les compagnies pétrolières.

Des gardes indigènes : nous surveillons le territoire à l'aide de GPS et de caméras.

Des alliances : nous travaillons avec la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur), la CONFENIAE (La Confédération des nationalités indigènes de l'Amazonie équatorienne).

 

Te sens-tu comme une activiste ? Si oui, pourquoi ?

 

Oui, parce qu'être Waorani aujourd'hui, c'est résister. Je ne veux pas que mes petits-enfants me demandent : « Grand-mère, comment était le jaguar ? Ou comment c'était de jouer dans les arbres ? ». Nos rivières meurent à chaque déversement de pétrole et lorsque nous élevons la voix, on nous insulte. Aujourd'hui, je me considère donc comme une jeune femme qui se bat pour la jungle afin de proclamer la justice, la justice et la justice. Je ne me lasserai pas d'élever la voix jusqu'à ce que la jungle me demande d'y retourner et de devenir un jaguar.

 

Avez-vous bénéficié d'un soutien international ou national dans vos luttes ?

 

Oui, des ONG. Il y a aussi beaucoup d'hypocrisie : les mêmes pays qui nous « aident »  consomment le pétrole qui nous tue. Et chaque jour, ils sont de plus en plus nombreux à nous envahir, revêtant leur masque de soutien appelé « ONG ».

 

Que veux-tu dire aux personnes qui vivent dans les pays industrialisés et qui ignorent la situation de ton peuple ?

 

Lorsque vous achetez de l'essence, n'oubliez pas que le sang vient d'ici. Votre confort est notre douleur. Réveillons-nous : la planète B n'existe pas. Et tout le fardeau et la douleur sont portés par nous, les gens vivant dans le Yasuni. La forêt n'a pas besoin de salut, elle a besoin de justice. Nous ne sommes pas « pauvres », nous sommes libres. Si vous voulez nous aider, écoutez notre vérité, non pas en tant que spectateurs, mais en tant que frères et sœurs. N'oublions pas qu'aujourd'hui, nous sommes déjà à un point de non-retour. Un peuple uni ne sera jamais vaincu. LA FORÊT EXIGE PLUS DE RESPECT.

 

Gorogame kekimpa (Combattez avec nous !)

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Maé-Lou Cariou

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